Produire français ? Commençons par la transition énergétique
Le 20-04-2012
Tribune écrite par Denis Baupin
Maire adjoint de Paris, EELV
Maire adjoint de Paris, EELV
Un débat a émergé dans cette campagne : « produire français ». Bien que peu cocardiers – car universalistes – les écologistes peuvent se retrouver dans cette problématique. Circuit court, produire local, sécurité alimentaire et énergétique sont par essence écologiques. Privilégier le développement local est la meilleure façon de lutter contre les méfaits de la mondialisation des marchés.
Une France structurellement dépendante pour son énergie
En 2011, notre facture pétrolière atteint 61,4 milliards de dollars. Dans le domaine électrique la dépendance est quasi-totale. Non seulement l’uranium est importé à 100% mais, pire, le dogme de l’électricité nucléaire soi-disant bon marché a incité au gaspillage, et même l’hérésie du chauffage électrique… Chaque jour de grand froid, le pic de consommation français constitue la moitié du pic européen ! Notre réseau ne survit que grâce aux importations massives, au moment où l’électricité est la plus chère et la plus carbonée.
Nous consommons toujours plus d’énergie, que nous achetons toujours plus chère. Cela déséquilibre notre balance commerciale, met en péril les industries consommatrices d’énergie et celles qui produisent des biens de consommation énergivores, notamment l’automobile. La chute des immatriculations s’accélère, nos concitoyens n’ayant plus les moyens d’acheter des véhicules de plus en plus consommateurs. Plus globalement, toutes les activités économiques sont fragilisées : les produits transportés sur des milliers de kilomètres verront leur prix impacté par l’accroissement du prix du pétrole.
Les conséquences sociales sont aussi dramatiques. La précarité énergétique touche 8 à 10 millions de personnes. L’accroissement du prix des carburants s’y ajoute. Les ménages « otages » de leur voiture dans des zones peu desservies par les transports la subissent de plein fouet. Dans un premier temps, des adaptations des comportements sont possibles (la baisse de la consommation de 3,5% en mars en est la preuve) : rouler moins vite, éviter des déplacements superflus, co-voiturer, utiliser les transports collectifs. Mais en-deçà de cette élasticité, pour nombre de ménages le choc est rude : perte de pouvoir d’achat et moindre droit à la mobilité.
Le laisser-faire nous mène dans le mur. Il faut mettre un pilote aux commandes de la politique énergétique.
Investir chez nous les milliards dépensés pour l’énergie
Et si, au lieu d’envoyer des dizaines de milliards aux pétro-monarchies, aux producteurs de gaz, d’uranium, nous investissions ces sommes gigantesques chez nous, dans nos territoires, nos économies, nos industries, nos emplois ?
Depuis les années 70, on sait qu’en France, on n’a pas de pétrole. Mais au moins étions nous supposés « avoir des idées ». En fait, ils n’en avaient qu’une (l’atome), et en plus elle était mauvaise. Pour autant, le concept reste juste : à défaut de matières premières, faisons preuve d’imagination, valorisons nos propres potentiels.
Un potentiel gigantesque d’énergies renouvelables
Notre territoire a des potentialités exceptionnelles dans les énergies d’avenir – les énergies de flux qui remplaceront les vieilles énergies de stock (pétrole, gaz, charbon, uranium) -, renouvelables et décentralisables : éolien (2ème potentiel européen), géothermie (l’Ile de France : 1ère région au monde en production), biomasse (déchets, exploitation durable des forêts), énergies marines (2ème espace maritime au monde), solaire (un potentiel naturel qui vaut bien celui de l’Allemagne).
Ce développement implique des réponses au stockage des énergies variables et aux impacts esthétiques évoqués ici et là. Mais il s’agit là d’un formidable gisement d’emplois locaux si on en fait une priorité industrielle. 370.000 emplois ont été créés dans les renouvelables en Allemagne, à comparer aux 120.000 emplois du nucléaire français.
Car le développement d’une politique renouvelable ne passe pas nécessairement par la Chine. L’essentiel de l’emploi concerne l’installation, la maintenance qui sont des activités locales. Le « retour sur investissement » (emplois, recettes, dynamisme économique) pour les territoires pionniers en éolien est visible partout, surtout là où il y a mobilisation citoyenne locale. De plus, et les réponses à l’appel d’offres pour l’éolien offshore l’ont montré, nous disposons déjà en France d’un début de capacité industrielle ; pour autant, ne répétons pas les erreurs centralisatrices françaises : une politique durable implique un tissu complémentaire de PME et de groupes industriels. Enfin, rappelons que le « libre marché » – qui tire les droits sociaux vers le bas – n’est pas un horizon inéluctable. Incluons déjà aux produits importés les mêmes charges (sociales, environnementales) que celles appliquées aux produits nationaux, pour mieux protéger notre modèle social et notre filière renouvelable naissante.
Et plus grand encore dans les « industries du Négawatt »
Le potentiel le plus important, dans un pays aussi gaspilleur que le nôtre, est celui des économies d’énergie. Le scénario Negawatt – établi par un collège d’une vingtaine d’experts et praticiens impliqués dans la maîtrise de la demande d’énergie et le développement des énergies renouvelables – l’a montré. Ma pratique, en responsabilité à Paris depuis 11 ans, me l’a confirmé.
La plus grande réserve est dans nos bâtiments. Ils représentent 48% de notre consommation. Sur Paris, ils consomment l’équivalent de la production de 4 réacteurs nucléaires, pour un coût de 2,5 milliards d’euros annuel. Le plan climat parisien permettrait, sur dix ans, d’économiser 900 millions d’euros au territoire, donc à la population parisienne. Il se traduit déjà par la réhabilitation de 4.500 logements sociaux par an et le plan de rénovation de 600 écoles.
L’investissement pour isoler est compensé par les économies d’énergie sur la durée de vie du bâtiment et la valorisation du patrimoine. Pour étendre cette politique aux co-propriétés privées et aux bâtiments tertiaires, il faut un encadrement légal. La directive européenne sur l’efficacité énergétique en négociation constitue l’opportunité d’inventer un « bonus/malus » favorisant les bâtiments efficaces, et rendant les « passoires énergétiques » invendables. Et créons des outils de financement, comme la SEM Energie Positif en Ile-de-France, pour que l’endettement ne repose pas sur les ménages.
Autres potentiels d’économies importants : le chauffage, en développant les réseaux de chauffage urbain bien plus pertinents que le stupide radiateur électrique français ; l’éclairage : les technologies modernes permettent à Paris de réduire de 30% la consommation de l’éclairage public, des illuminations et de la signalisation tout en restant « la ville lumière » ; les appareils électroménagers où les économies sont spectaculaires : nos voisins allemands consomment 20% d’électricité de moins que nous. Si nous ne nous adaptons pas, nos concitoyens comprendront vite quelles marques acheter pour faire des économies !
La mobilité est l’autre domaine d’économies spectaculaires. Le développement des transports collectifs en ville fait dorénavant consensus. J’y ai pris ma part à Paris. L’effort doit s’y poursuivre. La prochaine « frontière » est la densification des transports collectifs banlieue-banlieue et l’inter-urbain. Le « toujours plus vite » (autoroutes, TGV, aérien) est énergivore et excluant pour de nombreux usagers. L’Etat (avec les régions) doit s’affirmer autorité organisatrice des transports intérieurs (ferroviaire, routier, aérien, fluvial) et coordonner une politique tarifaire et de développement de l’offre (ferroviaire bon marché, autocars à haut niveau de service) pour irriguer l’ensemble du territoire. Le gisement d’emplois est considérable.
Le modèle automobile doit aussi évoluer. Son coût d’achat et d’usage ne cesse de croître. Cette industrie est menacée d’une crise plus grave que celle de la sidérurgie. Ce n’est pas aux salariés de payer l’inconséquence des constructeurs qui n’ont pas anticipé et conçu les véhicules sobres d’avenir. Or, quel que soit le développement des transports collectifs, nous aurons toujours besoin de véhicules motorisés individuels. Reconvertissons l’automobile pour l’adapter au 21ème siècle : véhicules moins lourds, moins rapides, moins polluants, moins énergivores, consommant 1 litre au 100 km, et roulant demain aux gaz ou électricité renouvelables.
Ne pas rater le grand virage énergétique et industriel
Toutes ces mutations (et aussi réseaux intelligents, logistique de proximité, agriculture de qualité) font de la crise énergétique l’opportunité d’ouvrir un nouveau cycle après celui entamé par la révolution industrielle.
Certains pays ont une longueur d’avance. L’Allemagne exporte 15 milliards d’euros par an de technologies sur les renouvelables. Pendant ce temps, la France s’accroche à son nucléaire, comme hier son minitel ou son Concorde, pendant que le reste du monde avance sans elle.
Nous ne pouvons nous payer le luxe de rater le virage qui crée les emplois d’aujourd’hui et de demain (par million investi, 8,5 emplois dans l’efficacité énergétique, contre 3 dans le nucléaire ou le pétrole).
Cela implique une stratégie industrielle : dans l’automobile, le transport de marchandises, les renouvelables, l’électroménager énergétiquement efficace, la distribution d’énergie, le démantèlement nucléaire et de la gestion de ses déchets, la réhabilitation thermique des bâtiments, etc.
De nombreux acteurs économiques l’ont compris. Des lieux nouveaux tels l’Alliance pour énergie locale, regroupant collectivités et industriels, naissent. Un véritable « lobby du négawatt »» se construit, indispensable pour réussir la mutation énergétique, tant sont grandes les résistances de ceux qui ne veulent rien changer, tant contrôler l’énergie c’est contrôler le pouvoir.